Producteur d’agrumes au Maroc, Laurent Boughaba a ouvert un concept store rue de Sèvres à Paris unique en son genre : une boutique qui ne vend que des agrumes bio du monde entier, des plus tendance aux plus exotiques. Parmi eux, des pépites issues de croisements inédits. Yuzu, cédrat, lime, bergamote, kumquat, mandarine… au pays de l’agrume, les papilles s’émoustillent ! Découverte.
Propos recueillis par Estelle Boutheloup / Medianawplus
« Agrumiste »… Mais d’où vient ce nom ?
Un jour, mon fils me raconte une histoire… Alors qu’il n’a que 5 ans, un camarade de classe lui demande : « Et toi ton papa il fait quoi ? ». À l’époque j’avais déjà commencé à planter des agrumes. Il lui répond « agrumiste ». Je me suis dit « il est formidable : mon fils m’a baptisé « agrumiste » ! Et ainsi est née la boutique.
Quel a été le cheminement de ce projet ?
Je suis né au Maroc, d’un père marocain et d’une mère franco-vénitienne devenant ainsi le fruit de différents endroits : Paris, Fès, Venise… Après une école de commerce à Paris, je suis devenu chef d’entreprise, à la tête du groupe Steva, spécialiste de la résidence services senior, avec par exemple la Villa Beausoleil, le Four Season des maisons de retraite, un peu le Club Med’ des vieux ! Et puis vers 40 ans, est arrivée la phase de questionnement avec cette envie de partager ce que je vis, ce que j’ai vécu… ce besoin de transmettre une partie de mon identité marocaine et d’imaginer une continuation au-delà de mon existence.
Mon grand-père était planteur d’oliviers au Maroc. J’aurais bien continué mais ça n’a pas marché. Il y avait quelque chose qui était à la confluence de plusieurs de mes envies : la cuisine. D’un côté, j’avais un copain qui avait une plantation d’orangers, de l’autre je suis très ami avec Pascal Barbot, chef très créatif et passionné d’agrumes, qui m’a initié à eux : il y a 15 ans, les agrumes on n’en parlait pas autant que maintenant. Ça a été mon cheminement et l’étincelle de base.
Et à votre tour, vous êtes donc devenu producteur d’agrumes ?
Voilà ! Au départ je commence par acheter un terrain au Maroc où je plante 100 000 arbres d’agrumes dont 250 variétés du monde entier pour en faire une collection. Un verger qui se situe à 50 km du Jardin des Espérides, ce jardin de la mythologie grecque, dans la ville de Lixus. Et puis chemin faisant je découvre la diversité des agrumes : ce fruit le plus planté au monde depuis la banane, est arrivé en Méditerranée il y a plus de 2000 ans mais il existe dans nos civilisations depuis des millénaires. L’histoire incroyable d’une sélection faite par les hommes qui se sont passés des pépins d’agrumes depuis des centaines de générations… Les agrumes constituent une famille de 4000 variétés dont une centaine de clémentines, 200 de mandarines… capables de se reproduire entre eux. À mon tour je fais l’abeille, je pollinise et je récupère les pépins. J’ai ainsi créé 2000 nouveaux arbres, des « bébés », tous uniques au monde ! Un laboratoire à ciel ouvert depuis 10 ans que je développe avec l’aide de l’INRAE, du CIRAD, de scientifiques et d’agriculteurs du monte entier.
Qu’est-ce qui vous fascine dans les agrumes ?
Pouvoir les recréer et voir tous les croisements que l’on peut faire ! Il sont aussi d’une telle diversité de formes, de feuilles, de couleurs, de saveurs… C’est la famille la plus chamarrée des végétaux ! Et dans les agrumes tout est comestible et là commence la folie ! On peut appréhender l’agrume par le goût : vous allez aimer un fruit, moi un autre. Le chef cuisinier va, lui, trouver un agrume plus intéressant qu’un autre, le pâtissier plus s’attacher aux notes puissantes, le restaurateur aux feuilles. On parle des fruits mais c’est toute la parfumerie qui est faite d’agrumes ! J’ai autour de moi une équipe qui forme un comité d’évaluation – un chef, un parfumeur, un agriculteur marocain – et grâce aux agrumes nous avons cette même excitation.
Quel est l’objectif de cette boutique unique en son genre ?
C’est un canal de distribution où tout est bio. Je souhaitais intégrer toute la chaîne des valeurs dans ce projet, des producteurs à la logistique jusqu’à la boutique, sans passer par la grande distribution, ni des grossistes qui vendent des caisses d’agrumes. Nos citrons de Menton par exemple nous les avons trois jours après leur cueillette. En plus des yuzu, main de Bouddha, kumbawa… l’idée était aussi de faire découvrir des fruits plus rares comme les agrumes japonais – la très belle mandarine Setoka, le Dekopon cet agrume entre clémentine et orange, le Béni Madonna – mais aussi le cédrat, citron créé en Méditerranée, le bigarade et nos deux agrumes stars. La lime de Tahiti, très parfumée : nous sommes les seuls à avoir une lime fraîche et bio. L’essentiel des limes vient d’Amérique du Sud. Entre le moment où il est cueilli et le moment où on le retrouve en ceviche ou dans les mojitos, il s’écoule six semaines… Et la Tangelolo : une clémentine au goût de pamplemousse rose. Un pomelo de poche obtenu depuis un premier croisement entre la tangérine et le pomelo qui a donné une tangélo que l’on a croisé avec un pomelo pour donner une tangelolo : la trouvaille dont je suis le plus fier.
Et vous régalez particuliers comme créateurs, chefs étoilés !
Mon souhait est de démocratiser l’agrume ! Et à ce titre je suis ravi d’être distribué par l’enseigne Grand Frais : je veux que l’agrume reste abordable. Mais je fournis aussi tout le monde : de l’Élysée aux palaces et grands hôtels parisiens, de La Mamounia au Royal Mansour au Maroc, mais aussi Luigi Biasetto en Italie, les grands chefs comme Alain Passard ou Pierre Hermé, tout comme Christine Ferber, la fée des confitures, ou encore le glacier Emmanuel Ryon qui s’éclate avec mes produits, et des artisans plus petits comme Ara Chocolat.
Quels sont vos prochains projets ?
Nous avons en réflexion le développement d’une ligne de parfum chez Hermès avec le grand nez Jean-Claude Ellena : un parfum naturel aux agrumes imaginé par un quatre mains et deux nez ! Pour lui, « les agrumes, c’est ce qui fait sourire les parfums ». Dans la cuisine et la pâtisserie c’est pareil : ça fait sourire la vie et quelle chance de pourvoir s’amuser avec !
Quel est votre agrume préféré ?
L’orange tout simplement ! À maturité au pied d‘un arbre, elle donne le même effet qu’une pêche dégoulinante. Et là, la frénésie commence… J’en mange une, puis deux, puis trois ! Je suis un « agrumiste » qui joue à plein de choses, à la fois généticien et marchand des quatre saisons… et c’est passionnant !
Photo de Une © EMMANUELLE LEVESQUE